Awenn

Chroniques et secrets d'une vagabonde nocturne

Petite soeur

Publié le 2 Janvier 2016 par Nolwenn in Lettres

Petite soeur

Grande soeur, pourquoi tu souris tout le temps? T'es jamais fâchée? Moi je veux être comme toi, dis c'est quoi ton secret?

Tu sais petite soeur, c'est tellement facile de faire semblant de sourire; ça évite les questions et les engueulades, ça plaît à tout le monde. Mais si tu savais ce que je cache avec mon sourire, oh, si tu savais...

Grâce à ce sourire, tu ne vois pas tous mes petits soucis quotidiens. Tu ne vois pas que je me suis engueulée avec mon copain, tu sais, celui qui joue avec toi quand il vient chez nous; tu ne vois pas mes sales notes et les critiques des profs, les commentaires des autres ados de mon école sur ma tenue ou ma coiffure, qui me blessent même si je le cache.

Tu ne vois pas les soirées où je m'enivre d'alcools pour défier les autres et entretenir l'image de fille forte et aventurière que je montre au monde; tu vois encore moins celles où je bois, seule sur un banc, jusqu'à en être mal, afin d'oublier mes problèmes de la journée.

Tu ne sais pas que quand je dis que je vais sortir les poubelles, en réalité je vais fumer une clope ou deux; tu ignores aussi que, même si je disais il y a quelques années que je ne fumerais jamais, ces cigarettes me sont devenues nécessaires aujourd'hui. Tu ne sais pas que j'ai fumé des choses bien plus nocives pour voir comment c'était, et que maintenant un de mes amis fait pousser ces "mauvaises herbes" dans sa chambre.

Tu ne sais pas que je me force à manger avec le reste de la famille, mais que je me fais vomir dès que tout le monde dort; que si j'ai autant d'argent de poche, c'est parce que je n'achète jamais de sandwich à midi avec l'argent que me donne Papa chaque jour. Tu ne remarques pas que je fais beaucoup plus de sport qu'une personne normale et que mes vêtements serrés deviennent de plus en plus larges pour moi. Tu ne vois pas le nombre sur la balance diminuer vertigineusement de jour en jour. Et tu ignores la joie que je ressens à devenir toujours plus légère, même si ma santé s'en ressent.

Tu n'imagines pas que le thermos de café sans sucre que je me prépare chaque matin est la seule chose que je m'autorise à avaler de la journée, et que sans lui je ne serais même pas en état d'aller en cours.

Tu n'entends pas mes pleurs la nuit, pendant que tu dors, parce que mes démons me poursuivent jusque dans mes rêves. Tu ne sais pas combien de nuits blanches j'ai fait le mois dernier; moi-même je ne sais pas comment je parviens encore à tenir tête à cette fatigue.

Tu ne sais pas que si je porte des pulls en permanence, c'est pour cacher mes poignets couverts de coups de cutter, et que les plus récents datent d'hier soir. Tu ignores que j'ai déjà songé à tous les moyens possibles et inimaginables de quitter la vie, de la boîte de somnifères à la balle dans la tête; tu n'imagines pas que je puisse avoir envie de mourir, et moi j'ignore pourquoi je ne suis pas encore morte.

Tu n'as aucune idée de ce que cache mon sourire, petite soeur. Et si tu l'ignores c'est aussi parce que je veux te protéger de moi, de mes démons, de ma folie.

Je suis là pour te donner l'exemple; c'est pourquoi je te cache tous mes défauts et toutes mes peines. Je suis là pour te garder sur le droit chemin, pour t'empêcher de faire les mêmes erreurs que j'ai faites. Je suis là pour te réconforter quand tu as peur, et ce même quand je suis encore plus effrayée que toi. Je suis là pour écouter tes soucis, tes peines de coeur et tes expériences. Je suis là pour te conseiller et répondre à tes questions.

Tu n'en es encore qu'à tes premiers pas dans ce grand monde dans lequel nous vivons, mon trésor; je suis là pour prendre soin de toi jusqu'à ce que tu sois assez forte pour t'en sortir seule. Je suis là pour t'empêcher de devenir une âme en peine comme moi. C'est pour ça que je suis ta soeur.

Alors si je souris malgré ma peur et mes états d'âme, c'est parce que je t'aime plus que tout. Tu es comme une petite moi, une moi encore pure et préservée de la tristesse et de la douleur, et je m'efforce de maintenir cela en te montrant les choses positives de la vie. J'espère que, si je n'ai pas réussi à faire de ma vie un chemin paisible et heureux, je parviendrai au moins à te mener jusqu'à ce chemin, petite soeur.

Et crois-moi, quand je vois ton doux visage sourire dans ton sommeil à côté de moi, j'ai un peu moins peur de l'inconnu et du noir; quand tu te blottis dans mes bras après un cauchemar, je me rends compte de la chance que j'ai de t'avoir.

Commenter cet article